Aucune production culturelle qui marque les masses ne le fait par hasard ou par erreur. Car chacune est un reflet de son époque, un miroir des contradictions de la société réelle à travers la fiction. La sortie de la saison 2 d’Arcane, qui a suscité un engouement général, en fait un moment fort de la vie culturelle de la fin de l’année 2024. Et cet événement montre bien toutes les contradictions de la culture bourgeoise.
Pourquoi dire que chaque événement culturel est un reflet de la société ? Il faut aller au fond des choses, à tous les niveaux. Ce qui définit un produit, quel qu’il soit, dans le marxisme, c’est d’abord et avant tout la manière de le produire. Arcane est définitivement une superproduction des monopoles. Sortie sur la plateforme Netflix, qui concentre 10 millions d’abonnés en France et 50 % du marché dans le pays, la série est taillée pour le streaming. La saison 1 a coûté plus de 60 millions de dollars pour 6 heures de production, contre 6 à 12 millions habituellement pour une production de ce type. C’est en réalité une publicité géante pour le jeu League Of Legends, un mastodonte de l’audiovisuel, avec une scène professionnelle développée à l’échelle mondiale. Lorsque l’on regarde Arcane, le principal, il faut le garder à l’esprit, c’est le caractère de production monopoliste.
Et pourtant, il semble résider une contradiction entre le caractère de superproduction et le propos de la série. En effet, Arcane parle de tout : de lutte entre les classes, d’abord ; c’est à dire de personnages marqués par leur position dans la société, qui affrontent la classe dominante et principalement son État et ses flics. Et à travers cette lutte, de tout le reste : la combativité de la jeunesse, l’absence de perspectives, la réaction des masses face à la répression, l’insurrection… Et cela touche à l’intime des personnages, à l’amour, à la haine, au couple, à l’individualisme comme aux aspects collectifs.
On remarque, par exemple, toute la subtilité d’une série qui commence par un cambriolage. Les personnages ne cambriolent pas des « riches » sans substance, mais d’autres personnages attachants, qui se retrouvent dans une fâcheuse situation et auxquels on peut s’identifier. Et pourtant, on comprend leur hargne, leur haine de classe. On est témoin, aussi, de la position de ceux et celles du « peuple d’en bas » qui refusent la confrontation par peur du carnage causé par la répression ; on se prend d’empathie pour ceux qui veulent la paix, la sérénité et la famille, quitte à subir la misère. La série fait parfaitement ressortir la réalité des masses de notre pays : d’un côté, l’aspect collectif, social, du prolétariat, qui se serre les coudes et lutte pour sa dignité ; de l’autre, l’individualisme d’une jeunesse qui tente la fuite en avant dans la violence et les actes anti-sociaux pour « s’en sortir ». Ces deux aspects ne sont pas représentés par différents personnages (même s’ils sont particulièrement personnifiés par les sœurs Vi et Jinx), mais bien imbriqués dans chaque relation sociale, dans chaque individu ; c’est ce qui rend la série si puissante.
Comment un monopole comme Netflix peut-il produire une série qui semble aussi profonde ? Comment un monopole comme Netflix peut-il publier, le jour de la mise en place du gouvernement Barnier, ce tweet : « tout cramer » ? On ne peut pas vendre ce qui n’est pas utile. La culture, comme le reste, même sous le capitalisme, ne peut pas éviter de donner aux masses ce qu’elles attendent. Et, même écrasées par le poids de l’impérialisme, les masses rêvent encore d’aventure, d’amour, de révolte et de révolution. Elles ne peuvent plus être gouvernées comme avant, et ne peuvent plus être gouvernées comme avant. Le capitalisme vendra la révolte, pour peu qu’elle fasse fructifier le Capital en crise. Une révolte anesthésiée, sans la Politique, sans la seule question qui la rend réellement subversive. Une révolte individualiste, sans plan, sans organisation. Une révolte où les personnages « suivent leur instinct », de manière individualiste. Mais une révolte quand même, sous forme de grande aventure, qui nous fait rêver. Le grand Lénine l’avait dit lui-même : « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle ils seront pendus. »