« Guerre contre la drogue » et occupation des quartiers – l’exemple rennais

Dans une note datée du 12 février 2025 adressée aux préfets, Retailleau présente le dispositif « ville à sécurité renforcée », contre le narcotrafic. 25 communes sont concernées par ce dispositif, qui prend la suite des « opérations place nette» de Darmanin. Si la liste des communes concernées n’a pas été diffusée, on sait que le dispositif concerne au moins dans le sud-est Grenoble et Marseille, et à l’ouest Rennes, Nantes et Saint-Nazaire.

Ce plan prétend « démanteler durablement les filières et équipes de délinquants par le biais d’enquête judiciaire » et « déposséder les délinquants et leurs entourages de leur patrimoine ». Comment ? En « occupant l’espace public par le biais d’opérations prolongées dans le temps » et en « mobilisant l’ensemble des instruments administratifs ». Après des dizaines d’années d’échec, l’État prend donc toujours pour prétexte la lutte contre le narcotrafic pour accélérer le contrôle répressif des quartiers populaires. Deux ans après les Grands soulèvements de juin 2023, l’État bourgeois a toujours peur et montre les dents.

Les critères établis par la circulaire sont les suivants : « l’enkystement des trafics de stupéfiants avec un contrôle social imposé par les délinquants » ; « une concentration de faits de délinquance sur un territoire réduit » ; « l’existence de troubles à l’ordre public récurrents » ; et « la présence d’une immigration irrégulière et de repli communautaire ». C’est bien écrit noir sur blanc. Ceux que l’on vise ici, ce ne sont pas les réseaux de trafics – qui s’organisent bien loin des petits points de deal – mais la population et la jeunesse révoltée des quartiers, qu’on réprime toujours plus avec des pseudo-justifications racistes.

À Rennes, le quartier de Villejean-Kennedy sous occupation

Ce vendredi 21 février, à Rennes, ce sont 70 flics (gendarmerie, police municipale, CRS, police aux frontières, etc.), avec un drone, qui se sont déployés dans le quartier de Villejean, comme des shérifs. Les flics contrôlent à tour de bras chaque « individu suspect », simples zonards, mais aussi des commerces, surtout pour accélérer le harcèlement de quelques travailleurs du quartier dont ils savent qu’ils ont des problèmes de papiers. Le préfet Amaury de Saint-Quentin précise que l’objectif est de « mettre la pression sur les espaces publics ».

Depuis le mois de décembre, le quartier connaît des violences dans une guerre d’influence entre réseaux de drogue. Début janvier, un homme a été hospitalisé après avoir reçu cinq balles dans un échange de tir. La violence des affrontements récents est d’autant plus forte que désormais, il n’y a aucun lien entre les réseaux de vente et les habitants. Les acheteurs viennent souvent du centre-ville, quand les vendeurs viennent d’autres villes pour un CDD de quelques mois. Le peu de régulation sociale qui pouvait exister quand la « base » du trafic connaissait son quartier n’existe plus. Tout au long du mois de janvier, le quartier a ainsi connu une situation de quasi-occupation, avec l’arrivée d’une compagnie de CRS et des patrouilles et contrôles systématiques.

Il y a quelques semaines, un message circulait dans des conversations WhatsApp du quartier, dénonçant des pratiques d’attouchements sexuels de la police à l’occasion d’un contrôle d’identité, pendant une action pour la Palestine sur le quartier. Le message dénonçait des « méthodes d’intimidation dégueulasse ». Une banderole avait ainsi été posée au cœur du quartier, puis retirée par les flics dès leur premier tour de ronde. C’est ainsi que l’État prévient les « troubles à l’ordre public », avec des flics et des caméras pour améliorer le contrôle d’une grande partie de la classe. Ici vivent beaucoup de travailleurs étrangers, qui voient leur situation se dégrader avec la publication récente de la « circulaire Retailleau ». Avec cette circulaire et la politique de la préfecture, certains qui étaient en situation régulière ne le sont plus ; quand d’autres, qui pensaient pouvoir régulariser leur situation, ne le peuvent plus. La politique de militarisation, d’occupation et de contrôle systématique les fait marcher au quotidien avec la peur au ventre.

Drogue, contrôle social et enjeux électoraux

Pendant ce temps, le trafic continue et se déplace, car l’État ne règle pas le problème, mais se contente de prétendre le régler. C’est parfaitement le but de ces opérations « musclées » : non pas de mettre fin au trafic, mais assurer un meilleur contrôle des quartiers pour prévenir les révoltes. C’est ainsi que l’État met la quasi-totalité de ses moyens dans les contrôles de rue, des « saisies » symboliques, ou de la communication anti-drogue (affiches, clips, etc.).

Ces mesures sont des prétextes qui servent surtout la propagande électorale. Les ministres et les préfets font ainsi le tour des JT, des clips de « prévention » sont diffusés pour viser l’électorat (et non les consommateurs), le lien entre immigration et délinquance est à nouveau souligné, etc. La même recette depuis plus de 20 ans. Les têtes de réseaux, les filiales, le blanchiment de l’argent sont, eux, volontairement laissés de côté, trop souvent en lien avec les intérêts de grands groupes qu’on ne veut pas mouiller. La réalité est là : les classes dirigeantes et les élus sont corrompus dans l’argent de la drogue et ont tout à perdre en s’attaquant à cette mafia.

Aussi, l’État n’ose jamais poser une question cruciale : pourquoi les gens se droguent ? Pourquoi des centaines de milliers de personnes ont besoin de leur joint quotidien ou de leur rail de coke ? La réalité de la drogue, légale ou non (la France reste le premier producteur de vin et un des premiers consommateurs de tabac), c’est qu’elle est elle-même un régulateur social puissant. Supporter l’abrutissement du travail, le stress et les malheurs de la vie : c’est ainsi que beaucoup de gens débutent et continuent de consommer, deviennent addicts et donc malades. Les opérations de com’ n’y changeront rien, car là encore, c’est une situation qui rend plus simple le maintien de l’ordre en France. L’État bourgeois ne veut pas mettre fin aux addictions, mais maintenir une situation d’équilibre où la population trouve son exutoire, reste productive et rapporte toujours plus d’argent qu’elle n’en coûte ; cela de l’ouvrier abîmé, du marginal à la rue, jusqu’au cadre qui accumule les heures.

L’autre facette est là : pourquoi des jeunes de 18, 19 ou 20 ans acceptent de vendre de la drogue en bas d’une tour pour 8 à 10 € de l’heure, de 12 h à 21 h ? N’ont-ils pas mieux à faire pour se faire de l’argent ? Dans un pays où le taux de chômage est maintenu volontairement haut depuis 50 ans, nous avons aussi la réponse. Surtout que les QPV (Quartiers prioritaires de la politique de la ville) concentrent la plus grande partie des familles monoparentales, souvent avec des horaires de travail en décalage, la nuit ou le matin. Dégager un peu d’argent facile pour s’émanciper vite et penser aider sa famille, ça commence souvent comme ça quand on est jeune, sans formation et sans piston.

Présence policière et rénovation urbaine

Le contrôle des populations les plus précaires cantonnées dans les QPV a deux aspects principaux en France. Premièrement et nous le voyons, le contrôle de la police, avec des moyens humains réguliers et son lot de violences, de meurtres, dont nous avons écho tous les ans. C’est récemment la mort de Bilal à Toulouse, l’an dernier le jeune Nahel à Nanterre, à Rennes Babacar en 2015, etc. Cette politique est soutenue par un aménagement spécifique des quartiers qui vise à bloquer les points de passage, les rendre plus simples à maîtriser pour les forces de l’ordre, en cas d’interpellation ou de répression de révoltes. Dans l’exemple du quartier de Villejean, beaucoup de passages au rez-de chaussée des immeubles ou dans les sous-sols ont été grillagés ou murés.

En parallèle, l’État mène depuis 20 ans une politique de « rénovation urbaine » qui vise à embourgeoiser les quartiers, diluer leur caractère populaire, et reléguer ainsi le prolétariat en dehors des villes. C’est ce qu’on appelle couramment la « gentrification ». Ces plans sont coordonnés nationalement par l’ANRU (Agence nationale de la rénovation urbaine) à coup de destructions et de reconstructions, dont les meilleurs exemples sont le quartier de l’Alma-Gare à Lille, et du Grand-Mirail à Toulouse. Le quartier de l’Alma-Gare est ainsi occupé depuis un an pour intimider les habitants qui s’opposent aux destructions, et les entrées des immeubles masquées par de larges murs de béton. Sur le quartier de Villejean, les nouvelles constructions se font dans un mix de « social » et « d’accès à la propriété » ; le plan d’urbanisme « Rennes 2030 », adopté par la municipalité « de gauche », faisant la promotion de la « mixité sociale » (nom politiquement correct de la gentrification).

C’est ainsi que la politique de « guerre contre la drogue » sert un vaste projet politique qui vise à atomiser encore plus la classe, pour diluer sa combativité. Après avoir divisé le prolétariat sur des critères nationaux et religieux, l’État bourgeois se sert de la « rénovation urbaine » et de la militarisation des quartiers pour expulser les plus résignés et traquer ceux qui restent. C’est pourquoi nous refusons l’arbitrage de la police dans les règlements des conflits de la drogue « à la base ». La « guerre contre la drogue » est et a toujours été un vulgaire mensonge pour mieux retourner le pistolet contre nous.

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