Au Brésil, la révolution agraire pose les bases de la révolution démocratique

Au Brésil, la lutte pour la terre se poursuit. Dans le pays, le nombre de paysans sans terre ne cesse de s’accroitre, alors que les grands propriétaires (Latifundia) concentrent davantage les espaces en s’accaparant des terres autochtones en Amazonie. Pour vivre dignement, des centaines de familles participent chaque année à des opérations de saisie de terres avec le Mouvement des travailleurs sans terre et la Ligue des Paysans Pauvres. Elles revendiquent une réforme agraire, et s’organisent pour défendre leurs positions face à la police et aux milices privées qui intimident et expulsent, tandis que le niveau de corruption et de violence explose.

Lula ou Bolsonaro, la police reste au service du Latifundia

Le 23 novembre, la police a arrêté et torturé des paysans dans le Tocantins, au centre du pays, des actes dénoncés par le Mouvement des travailleurs sans terre (MST). Selon le MST, une partie de la superficie de 1 600 hectares avait été volée par un grand propriétaire. L’expulsion des paysans a été effectuée quelques heures après qu’ils ont repris le contrôle de la terre. Trois personnes ont été arrêtées et l’une d’elles a été brutalement torturée. Simulant une chambre à gaz, ils ont verrouillé la personne dans le coffre de la voiture et ont pulvérisé de la bombe au poivre. Cette nouvelle intervient juste un mois après qu’on a appris que la police civile a torturé des paysans qui occupaient des terres dans le camp de Landerra Prometida, dans le Para (nord du Brésil). Cinq paysans ont été tués et d’autres ont disparu. La même semaine, la police militaire a envahi le camp de New Hope, au Rondônia, état de l’ouest, pour tenter d’expulser les familles qui occupaient les terres du latifundia Capao da Onça depuis 10 jours. Il s’agit de la troisième tentative d’expulsion des familles sans décision de justice. En contact avec la Ligue des paysans pauvres (LCP), les paysans ont décidé d’avancer dans leur organisation. Ils occupent les terres depuis 2007 dans la région, partageant celles-ci entre les familles.

La LCP a dénoncé dans une déclaration le meurtre de paysans qui occupent des terres, et insiste que des crimes comme ceux-ci ne sont pas nouveaux. « Dans la ferme de Santa Lacia, en 2017, des squatters ont également été assassinés, et c’est la dénonciation rapide de la LCP du sud du Para et du Tocantins, puis de la CPT1, qui a empêché le crime d’être présenté comme un règlement de compte au sein des occupant. À ce moment-là, nous avons dénoncé le massacre comme faisant partie de la violence croissante du latifundia sous l’administration de Temer2» Sept ans plus tard, avec l’aide de la LCP, les paysans déclarent qu’ils sont toujours sur leurs terres.

La Révolution agraire sera une partie de la révolution de Nouvelle Démocratie

Le 26 octobre dernier, les paysans de l’État de Pernambouc (nord-est), réunis en Assemblée populaire organisée par la LCP, ont voté la fondation du camp Menino Jonas. 150 d’entre eux ont défilé sur les terres disputées avec le Latifundia depuis plusieurs années. Ils ont déclaré qu’ils n’accepteraient pas pacifiquement une nouvelle expulsion. Ils se sont alliés notamment avec leurs voisins de la Zone révolutionnaire Renato Nathan.

Sur cette zone, fondée en 2012, les mêmes familles exploitent les terres depuis les années 1960. Organisés avec la LCP depuis une vingtaine d’années, les familles produisent des fruits, du maïs, du manioc, du lait… Ils ont déjà fait face à cinq tentatives d’expulsions, toutes vaincues. Ils sont soutenus par les paysans des alentours, mais aussi par les habitants de la ville voisine, qui consomment leurs produits. Les paysans de la zone révolutionnaire ont d’ailleurs entamé le 30 novembre la reprise de la communauté de Lajeiro, parcelle d’où ils ont été expulsés à la fin du mois d’octobre.

Cet été, la LCP de Corumbiara, à l’ouest du Brésil, a publié un communiqué à l’occasion de son 29ème anniversaire. Elle dénonce les actes de violences grandissant de groupes armés d’extrême droite qui visent les paysans, indigènes et descendants d’esclaves. La Ligue a déclaré que le changement de gouvernement n’a rien changé à la situation. L’organisation appelle en conséquence les communautés paysannes et indigènes à généraliser la formation de groupes d’autodéfense armés partout. Elle souligne également le passé victorieux de la résistance paysanne armée dans la région, notamment lorsque 600 familles ont résisté à une expulsion en 1995 et évité un massacre, armes à la main, dans la ferme de Santa Elina (municipalité de Corumbiara, état de Rondônia). En 2010, des centaines de familles ont réussi à reconquérir l’ensemble du terrain, qu’elles exploitent aujourd’hui. La LCP en tire d’importantes leçons :

« Depuis la glorieuse et héroïque résistance paysanne de Corumbiara en 1995, les paysans brésiliens ont découvert l’alliance ouvrière et paysanne et la révolution agraire dans le sang, et c’est ce que le latifundia, tel un géant aux pieds d’argile, craint ! Ce qui hante et terrifie le latifundia, c’est qu’il sait que tous ces privilèges et cette force dont il se targue sont en réalité sa plus grande faiblesse, car son emprise repose sur le sang monstrueux, lâche et séculaire de millions de pauvres.

Plus que jamais, l’exemple de la résistance armée héroïque des paysans de Corumbiara et de tant d’autres régions où les travailleurs suivent la voie de la révolution agraire, seule voie possible pour détruire les latifundia et donner la terre à ceux qui la travaillent, reste d’actualité, jetant ainsi les bases pour balayer la domination séculaire du système financier, démocratiser la propriété foncière, conduire notre pays vers une Nouvelle Démocratie, unir les travailleurs des campagnes et des villes, et créer un Nouveau Brésil, où le peuple peut réellement gouverner, garantir ses droits et ses aspirations et instaurer une véritable justice ! »

1Commission Pastorale de la Terre, organe de la Conférence des évêques (catholiques) du Brésil.

2 Michel Temer a été président du Brésil de 2016 à 2019.

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