Islamophobie : le plan de la bourgeoisie française est de corporatiser la société


Note de la rédaction : Nous invitons nos lecteurs à lire « Sur l’islamophobie, ses causes et la révolution socialiste », dont cet article est un complément.

Le meurtre d’Aboubakar Cissé de 50 coups de couteau le 25 avril a entraîné la mobilisation de dizaines de milliers de personnes dans les rues pour dénoncer un assassinat islamophobe, directement lié aux campagnes continues dans les grands médias bourgeois et jusqu’aux sommets du gouvernement à l’encontre des musulmans. Le 31 mai, c’est dans le Var que le coiffeur tunisien Hichem Miraoui, un quadragénaire qui était au téléphone avec sa famille pour préparer la fête de l’Aïd, est abattu à l’arme à feu par son voisin, qui avait plusieurs fois inscrit « sale Arabe » sur son scooter.

Ces meurtres démontrent clairement que l’offensive réactionnaire sur les immigrés et sur les musulmans français n’a pas pour but de promouvoir « l’intégration » ou le « vivre ensemble » comme ils disent. Au contraire, elle produit des crimes morbides comme ceux-ci. Alors quel est le plan véritable de la bourgeoisie derrière cette campagne ? 

Une situation politique qui pousse la bourgeoisie à restructurer son appareil d’État

Premièrement, il faut voir où en est l’État bourgeois français. Sous ses pieds chancelants, il y a une base économique en crise et une base sociale en ébullition. Au cours des 10 dernières années, il a dû maintenir l’ordre face à au moins 6 mouvements de grève nationales dont le dernier en 2023 a eu une grande ampleur, plusieurs mouvements lycéens et étudiants, des oppositions dans la rue à ses réglementations sanitaires entre 2020 et 2022, sans compter les mouvements d’agriculteurs, les Soulèvements de la Terre, etc. Et bien sûr, les deux événements les plus importants, le mouvement des Gilets jaunes en 2018 et les grandes révoltes suite à la mort de Nahel en 2023. Tout cela alors que son ordre politique s’effrite par le haut : renforcement de la figure présidentielle sous Macron, négation du Parlement, crise de régime en développement depuis la dissolution de juin 2024.

Une fois que nous avons clarifié cette situation, il est clair que les maîtres de l’État bourgeois ne peuvent pas desserrer leur emprise sur la société : la lutte de classes en France est en général relativement trop importante pour ne pas être matée. Il faut donc restructurer l’appareil d’État dans un processus de réactionnarisation. Ce faisant, il y a évidemment l’augmentation de la violence de l’État, mais ce n’est qu’un aspect, qui n’est pas déterminant. En démocratie aussi, l’État bourgeois est violent, car c’est cela l’État au fond, des « hommes en armes » selon la formule du révolutionnaire allemand Friedrich Engels.

Le lien entre l’islamophobie et le corporatisme aujourd’hui en France

Ce que nous voyons, c’est que l’islamophobie en France doit être comprise comme faisant partie d’un plan corporatiste. Qu’est-ce que le corporatisme ? C’est une politique de la bourgeoisie la plus réactionnaire, dont le fasciste Pétain nous a donné une définition dans le domaine du travail : « Abandonnant tout ensemble le principe de l’individu isolé devant l’État et la pratique des coalitions ouvrières et patronales dressées les unes contre les autres, il (l’ordre nouveau corporatiste) institue des groupements comprenant tous les membres d’un même métier : patrons, techniciens, ouvriers. Le centre du groupement n’est donc plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise. Le bon sens indique, en effet, – lorsqu’il n’est pas obscurci par la passion ou par la chimère – que l’intérêt primordial, essentiel, des membres d’un même métier, c’est la prospérité réelle de ce métier. »

À la place de la lutte de classes, il y a donc des corps subordonnés à l’État bourgeois qui intègrent toutes les classes. Derrière cette « égalité » apparente, il y a en réalité des machines d’oppression et d’exploitation aux mains de la bourgeoisie ; c’était l’ordre capitaliste sous le fascisme.

Mais alors, quel lien avec les musulmans et l’islamophobie ? Si on prend le corporatisme de façon plus générale, on peut voir deux mouvements conjoints en France. Premièrement, si l’on s’intéresse aux musulmans, on voit que l’État bourgeois veut transformer les musulmans de France en corporation. Deuxièmement, en divisant entre « musulmans » et « non-musulmans », la bourgeoisie veut nier l’unité de la classe ouvrière et grouper les « Français » (« de souche », blancs, européens, non-musulmans…) dans un corps qui défendrait « son » État, une France républicaine, laïque… contre un ennemi de l’intérieur séparatiste.

Concernant le premier point, c’est une politique qui a commencé dans les années 1990 avec Jean-Pierre Chevènement et qui s’est poursuivie sous Sarkozy jusqu’à aujourd’hui. Concrètement, la bourgeoisie a posé le problème suivant : l’État bourgeois est laïc, 9 imams sur 10 (en 1990) viennent de l’étranger, la religion musulmane n’a pas d’Église rigide et ancienne en France (contrairement au catholicisme), il faut donc créer une corporation qui puisse drainer les musulmans de France vers un « islam républicain », un « islam de France ». Cette politique corporatiste avait donc pour but de caser tous les musulmans de France sous les ordres des mêmes comités organisés en lien avec l’État et, au fil des années, plus ou moins pilotés. Ainsi, le Conseil français du culte musulman (CFCM) est fondé en 2003, et aujourd’hui son successeur est le Forum de l’islam de France (FORIF). Ce « corps » du culte musulman est une tentative d’organiser une communauté musulmane sous la direction de l’État. Concrètement, c’est du réchauffé des pratiques coloniales, notamment en Algérie, et un piège tendu aux musulmans qui, une fois regroupés en communauté, peuvent facilement être accusés de communautarisme.

Ce qui nous mène au deuxième point, plus primordial. Car aujourd’hui, où les musulmans représentent 10 % de la population en France, l’unité de classe entre prolétaires au-delà de la religion devient un danger important, surtout que chaque mouvement réel des masses (où elles se rencontrent, échangent, luttent ensemble) tend à faire éclater la division bourgeoise sur la base de la religion, de la couleur de peau, etc. Quand nous affirmons que la bourgeoisie veut diviser la classe sur des lignes religieuses ou ethniques et que nous nous y opposons, ce n’est pas pour la forme que nous le disons ! C’est très concret, car il n’est pas possible pour la bourgeoisie de diriger une telle campagne réactionnaire seulement grâce à du battage médiatique et une idéologie fondée sur « l’identité » française ou européenne. Il faut clairement une politique corporatiste (à l’école, dans l’administration, les associations…) qui groupe les masses, et notamment les prolétaires, du côté de l’État bourgeois contre un ennemi identifié. Nous avions écrit en mai : « La division entraîne l’impuissance des masses, et sert à la mobilisation réactionnaire masses contre masses pour les entraîner dans une politique chauvine de guerre de pillage. Elle tente de détourner les masses et principalement le prolétariat des vrais problèmes (à savoir : comment en finir avec les parasites, la grande bourgeoisie et ses laquais) pour les amener vers un chemin qui va contre leurs intérêts. Dans ce jeu sordide, l’islamophobie a remplacé l’antisémitisme. Elle sert de mobilisateur pour aveugler. »

Lutter pour l’unité de la classe, c’est la rendre puissante et défendre les droits démocratiques du peuple

Nous luttons donc fermement pour conjurer ce plan corporatiste. Nous refusons l’impuissance de la classe ouvrière, nous défendons son unité car comme Karl Marx disait à propos de la classe ouvrière en Angleterre divisée entre anglais et irlandais : « Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret par lequel la classe capitaliste maintient son pouvoir. Et celle-ci en est bien consciente. »

C’est aussi pour défendre les droits démocratiques du peuple, dont celui de la liberté de conscience (avoir une religion ou non), que nous nous y opposons. Car en corporatisant les musulmans, les chrétiens, les athées, etc. : ils fomentent un plan qui vise à élargir ou limiter les droits de certains prolétaires en fonction du vent politique et à les couper des autres sur des bases religieuses. Mais leurs luttes communes ne peuvent que les ramener ensemble, unis fermement contre l’État bourgeois.

Manifestation contre l’islamophobie au quartier Bagatelle à Toulouse.

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