Voilà trois nuits que des attaques se multiplient aux abords des prisons, centres pénitentiaires, maisons d’arrêt et désormais au domicile des surveillants pénitentiaires. De dimanche à lundi, 7 voitures ont été brûlées à Agen à l’ENAP, l’école de l’administration pénitentiaire, ce qui a conduit à l’évacuation de 1000 élèves. La même nuit, en Seine-et-Marne à Réau, la voiture d’une surveillante a été incendiée sur la prison dont s’était évadé Rédouane Faïd en hélicoptère en 2018.
Du 14 au 15 avril, la prison de Toulon a été attaquée par des tirs à l’arme automatique sur les murs, laissant des impacts et mettant en état d’alerte la prison. Deux voitures ont été brûlées à Aix-Luynes, une autre à Marseille, et 10 véhicules ont été tagués. A Nanterre, le parking de la prison a aussi eu son incendie et ses tags.
Au même moment, sur le parking du centre pénitentiaire de Valence, deux véhicules prennent feu après l’intervention d’un « individu à trottinette ». Enfin, à Villepinte en Seine-Saint-Denis, trois voitures sont incendiées sur le parking de la prison.
Le 15 avril, le ministère de l’intérieur révèle la signification du tag « DDPF » qui revenait dans plusieurs des attaques. Selon eux, il s’agit d’un groupe nommé « Défense des Droits des Prisonniers Français », opérant sur une boucle Telegram avec plus de 1000 membres. Immédiatement, les spéculations s’emballent : groupe « d’ultra-gauche », « narcos » ou même ingérence étrangère coordonnée, comme cela avait été le cas avec les croix gammées et étoiles de David à Paris en 2024.
Le parquet national antiterroriste (PNAT) s’est saisi de l’affaire. Rappelons qu’en 2024, lors d’attaques coordonnées sur le réseau de rail SNCF, à des endroits bien précis, celui-ci ainsi que la police n’avaient pas réussi à faire d’arrestation décisive, et que l’enquête est aujourd’hui en silence radio depuis au moins septembre de l’année passée.
Darmanin, qui mène en ce moment une charge sécuritaire au niveau des prisons pour augmenter son prestige personnel en vue de la présidentielle a déclaré : «La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui vont déranger profondément les réseaux criminels. Elle est défiée et saura être ferme et courageuse.» Selon une source «proche du dossier» citée par l’AFP, «tout cela semble coordonné et manifestement en lien avec la stratégie contre le narcobanditisme du ministre». »
Suite à l’accusation de terrorisme et aux déclarations de Darmanin, le DDPF a réagi en publiant le 15 avril : «Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l’Homme à l’intérieur des prisons». Il avait auparavant ajouté : «Surveillants, démissionnez tant que vous le pouvez si vous tenez à vos familles et à vos proches», «les démonstrations de force de ces derniers jours ne sont rien», ou encore «sachez que notre mouvement s’étend dans toute la France».
Et en effet, dans la nuit du 15 au 16 avril, une nouvelle série d’attaques a eu lieu. Cette fois ci, trois véhicules ont été incendiés à Tarascon sur le parking grillagé et sécurisé de la prison. Au même moment, la voiture d’un surveillant a été brûlée à son domicile et un début de feu a eu lieu dans un immeuble de Villenoy où vit une surveillante, avec l’inscription « DDPF ». Un détenu en semi-liberté a été arrêté le 16 avril car son téléphone serait apparemment connecté à la boucle Telegram, sans qu’il soit clair s’il est accusé de la moindre participation aux actions.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l’identité, les revendications exactes et l’extension d’action de ce groupe, mais en se basant sur les rapports de presse voilà ce qu’on peut dire :
1) Il s’agit d’attaques coordonnées, étendues sur tout le territoire du nord au sud, organisées et à but d’agitation politique. En effet, le groupe publie lui-même des vidéos des actions sur la boucle Telegram et attaque directement l’État par l’intermédiaire du ministre Darmanin.
2) En attaquant des véhicules de surveillants et l’administration pénitentiaire, ils déstabilisent le corps d’hommes armés essentiels à l’État bourgeois pour encadrer les prisonniers. Sur BFMTV le délégué réactionnaire de FO-Pénitentiaire a déclaré qu’avec la surpopulation carcérale, des mutineries généralisées seraient ingérables. Le 28 septembre dernier, deux mutineries simultanées à Nîmes et Mayotte ont secoué les prisons françaises avec plusieurs centaines de détenus qui refusent de rentrer en cellule.
3) En s’en prenant à l’État et Darmanin, qui attaque pour son crédit politique les 80 000 personnes emprisonnées en France avec son plan de « prisons méga-sécurisées » au mépris de la dignité humaine, ce groupe ne peut qu’attirer l’attention à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, quelles que soient son origine et ses motivations. Des vidéos de détenus apprenant les actions ainsi que des groupes Signal et Telegram copies de l’original commencent à émerger, laissant penser qu’il est possible que certaines actions n’aient pas de lien direct avec le groupe original.
4) La réaction « ferme », « sans délai » de Darmanin pour que les auteurs des attaques soient « confondus puis condamnés extrêmement lourdement », ainsi que l’appel à Retailleau, son compère au gouvernement et son concurrent politique, à « mobiliser tous les moyens » pour l’enquête montre l’importance que mater ce genre de mouvements a pour l’État. L’existence, sans répression efficace, d’actions de sabotage ou d’attaques sélectives comme celles-ci contre l’État bourgeois marquerait le symptôme d’une grave crise, où des groupes s’opposent directement à celui-ci. Voilà pourquoi la réaction est immédiate et prise au sérieux.
Qui que soient les personnes derrière la « DDPF », elles seront certainement sur le devant de la scène médiatique tant elles représentent un symptôme clair de la crise actuelle de la Vème République dans tout son appareil, y compris répressif et sécuritaire.