Le 13 août, soit un mois et un jour après la fin des rencontres ayant mené à l’accord de Bougival, le bureau politique du Front de libération kanak et socialiste (FLNKS), principale force du mouvement indépendantiste en Kanaky (« Nouvelle-Calédonie »), a officiellement rejeté l’accord. Une suite logique, après le rejet consécutif de ses différentes composantes.
Le FLNKS « rejette formellement le projet d’accord de Bougival, en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de [sa] lutte », a déclaré Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne (UC) et membre du bureau politique du FLNKS.
Cette décision a été prise samedi 9 août, lors d’un congrès extraordinaire du mouvement qui a réuni 500 militants et représentants des groupes et institutions (Sénat coutumier…), et confirmée lors d’une conférence de presse du bureau politique le 13 août à Nouméa. L’accord de Bougival, dont les négociations ont été menées sous l’égide du ministre des Outre-mer Manuel Valls, avait été largement dénoncé par les forces progressistes pour son contenu.
Les annonces de façade, comme la création d’un « État de Nouvelle-Calédonie » et d’une nationalité calédonienne, cachaient en réalité l’élargissement du corps électoral, un sujet brûlant qui avait déclenché les révoltes en Kanaky de mai 2024. Nous sommes revenus dans un précédent article en détails sur les enjeux derrière la Kanaky française.
Ces dernières semaines, l’accord avait été peu à peu largement dénoncé par les différentes organisations du FLNKS. À commencer par l’Union calédonienne, principale composante du Front, qui dès le 31 juillet avait déclaré rejeter l’accord, bien que sa délégation l’ait signé le 12 juillet. Le congrès extraordinaire du FLNKS vient confirmer ce rejet, une motion de politique générale étant adoptée à l’unanimité.
Les négociateurs envoyés par le FLNKS, dont Emmanuel Tjibaou (fils de l’emblématique Jean-Marie Tjibaou, leader indépendantiste assassiné en 1989), ont vu leurs mandats révoqués et démis.
Le FLNKS ouvert aux négociations dans un certain cadre
Manuel Valls est déjà de retour en Kanaky depuis le 18 août pour « clarifier l’esprit de l’accord », mais les responsables du Front ont fermé la porte à toute nouvelle négociation qui porterait sur ce compromis conclu il y a un mois. « Le FLNKS ne participera pas au comité de rédaction » convoqué par Manuel Valls, « ni à aucune discussion en relation avec la mise en œuvre du projet d’accord de Bougival », a souligné Marie-Pierre Goyetche, membre du bureau politique du FLNKS. « L’accord de Bougival est derrière nous. »
Christian Tein, président du FLNKS, était présent en visioconférence au congrès depuis la métropole, étant toujours sous contrôle judiciaire et interdit de territoire en Kanaky suite aux émeutes de 2024. Il a appelé le FLNKS à rejeter clairement l’accord de Bougival. En revanche, il a poussé le mouvement à rester ouvert au dialogue avec l’État français uniquement – et non les partis d’opposition, loyalistes – pour obtenir la « pleine souveraineté », et ce en présence de représentants de l’ONU. Le FLNKS reprend ainsi son projet d’accord de Kanaky, qu’il veut voir signé le 24 septembre 2025, ouvrant une période de transition vers l’accès à la pleine souveraineté, souhaitée « avant les élections présidentielles 2027 ».
Le 20 août, Valls a rencontré à huis clos une délégation du FLNKS pour une discussion qui a duré deux heures et demie. A la sortie, la délégation composée de membres du bureau politique du Front n’a pas souhaité faire de déclaration. Elle doit d’abord rendre compte à Christian Tein, chargé de « superviser les discussions avec l’Etat ».
La question des élections provinciales en novembre prochain
Concernant les semaines et mois à venir, le FLNKS estime que ce rejet entraîne le retour de l’accord de Nouméa comme cadre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, et donc le maintien du calendrier électoral. C’est-à-dire : la tenue des élections provinciales en novembre, comme prévu dans le cadre de l’accord de Nouméa. Pas vraiment l’idée de Valls, qui espère visiblement gagner du temps de négociations pour calmer le jeu dans l’archipel : « Ce 13 août, une proposition de loi organique a été déposée par six présidents de groupe du Sénat, témoignant d’une volonté transpartisane d’accompagner la mise en œuvre de l’accord politique signé le 12 juillet 2025 à Bougival. Elle prévoit de reporter les élections provinciales à juin 2026, conformément au calendrier fixé par l’accord sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Je salue le dépôt de cette [proposition de loi] et souhaite que le Parlement puisse en débattre dès la reprise des travaux parlementaires. »
L’accord de Bougival continue d’être défendu localement par l’ensemble du camp non-indépendantiste (la coalition Le Rassemblement-Les Loyalistes), par l’Eveil océanien (un parti « ni-ni » : ni indépendantiste, ni loyaliste), et par le Parti de libération kanak (Palika) et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM), deux mouvements indépendantistes qui ont quitté le FLNKS en 2024.
A l’adresse de l’État français, les indépendantistes mettent en garde contre un éventuel passage en force, notamment sur la question du dégel du corps électoral : « Ne commettez pas la même erreur », a averti Sylvain Pabouty (Dynamique unitaire Sud). Les responsables du mouvement ont ainsi appelé « l’ensemble des forces vives indépendantistes à tout mettre en œuvre pour stopper pacifiquement l’agenda de l’État prévu à Bougival ». « On repartira dans les villages, dans les quartiers, dans les tribus… Partout », a annoncé Christian Tein.