Où en est la lutte de classes en France ? 

La France est un pays habitué des mobilisations, des « mouvements sociaux ». On voit donc chaque printemps certains militants attendre le prochain ; et quand il n’y en a pas qui surgit, ils ont l’impression qu’il ne se passe rien. Rien n’est plus faux !

Ils font l’erreur de faire porter aux masses leur propre inertie et démobilisation, de se placer au-dessus d’elles comme s’ils avaient mieux compris que tout le monde. Bien qu’il n’y ait pas de « grand mouvement », quiconque vit auprès des masses et travaille avec elles sait que leur colère est grande et qu’un climat en ébullition existe. Elles sont prêtes pour la lutte. Alors pourquoi ça ne pète pas ? Depuis 2023, nous affirmons qu’il existe une situation révolutionnaire en développement inégal dans le pays ; voyons voir dans quel moment nous nous trouvons.

Deux collines en contradiction qui expliquent ce mouvement

Quand nous observons le camp de la bourgeoisie et celui du peuple, nous disons que ce sont comme « deux collines » qui s’affrontent. Même si ces deux collines sont influencées par la situation mondiale – car la France est une puissance impérialiste qui exploite des pays opprimés et que la tendance à la guerre se développe entre les impérialistes – la dynamique principale est la base interne, c’est-à-dire principalement la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui exprime la révolution et la contre-révolution, les fameuses « deux collines ».

Du côté de la bourgeoisie, nous serons synthétiques car nous l’avons analysée à de multiples reprises. Leur crise politique se transforme depuis un an en crise de régime qui pousse à la répression directe. Ils attaquent tout ce qui est organisé car, selon la formule de Lénine : « [Il y a] impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du “sommet”, crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin. » Ils veulent mater tout ce mécontentement, l’empêcher de s’exprimer car ils savent qu’en France, ça tourne à la démonstration massive et/ou violente contre l’État bourgeois. Ils veulent donc renforcer leur forteresse « République » dont les fondations s’effondrent. Ils utilisent son nom et sa forme de démocratie bourgeoise contre les droits démocratiques et les droits du peuple.  

De l’autre côté, nous voyons en France une lutte de classes relativement élevée pour un pays impérialiste. Il y a eu beaucoup de batailles récentes, jusqu’à l’année 2023 qui a été d’une intensité considérable reconnue partout dans le monde et notamment en Europe. Depuis, aucune revendication n’est réglée, et rien qu’au niveau des retraites, le Conseil d’Orientation des Retraites vient de proposer dans un rapport une nouvelle réforme pour repousser l’âge de départ. Tout ça alors que 90 % de la société (donc pas seulement les prolétaires !) est contre le projet original passé en force il y a deux ans. Le nombre de pauvres augmente à près de 11 millions, les salaires stagnent et les luttes contre les plans sociaux dans les entreprises et contre l’arbitraire de l’État dans les manifestations et quartiers se multiplient. Même par l’intermédiaire des arrêts maladies, une certaine résistance individuelle contre l’ordre capitaliste au travail s’exprime selon un rapport publié en juin.

Cependant, il faut voir qu’il y a bien, depuis la seconde partie de 2024 et jusqu’à aujourd’hui, une stabilisation relative dont la principale cause est le problème de la direction politique des masses qui conduit à toutes les causes secondaires pour lesquelles le pays n’explose pas : peur de se mobiliser, division des masses en segments coupés les uns les autres, sentiment d’impuissance à l’échelle individuelle et collective. Dans le mouvement révolutionnaire et chez les progressistes, s’il y a un ­contre-encerclement face à la répression, c’est qu’il y a d’abord un encerclement. Et un encerclement n’est pas fait par le faible sur le fort, mais au contraire par le fort sur le faible. C’est donc une marque de faiblesse du mouvement révolutionnaire : même s’il est en croissance relative, il reste faible tactiquement face à un État bourgeois avec une longue tradition contre-révolutionnaire.

La situation est excellente pour que les révolutionnaires la saisissent

Mais la stabilisation n’est que relative, temporaire, c’est très important. La lutte de classes en France ne fait pas marche arrière, elle ne ralentit pas : elle prépare un bond. Le développement du processus du vieil État bourgeois ouvre la voie à une vague réactionnaire contre tout ce qui est organisé. Cela signifie nécessairement que le prochain mouvement social d’ampleur sera criminalisé. Cela aura des impacts organisationnels forts, car il n’y aura que deux voies pour les organisations et les masses organisées : soit s’intégrer à l’État et accepter son ordre ; soit réaliser la rupture avec l’impérialisme, la scission entre la révolution socialiste d’un côté et l’accommodement social de l’impérialisme français de l’autre. Les révolutionnaires doivent donc en tirer toutes les leçons et développer leur mouvement avec la clarté nécessaire sur ce point.

Quand nous nous opposons à la répression de l’État bourgeois, quand nous demandons à ce que soient réalisés les droits démocratiques dans les manifestations, les procès, cela signifie-t-il que nous avons la moindre confiance en cet État pourri et divorcé des masses, en ses lois et ses institutions ? Évidemment non ! Lénine disait : « Nous sommes pour la république démocratique en tant que meilleure forme d’État pour le prolétariat en régime capitaliste ; mais nous n’avons pas le droit d’oublier que l’esclavage salarié est le lot du peuple, même dans la république bourgeoise la plus démocratique. » Ainsi, lorsque nous défendons les droits démocratiques, nous ne le faisons pas du point de vue de la bourgeoisie, comme des incantations, mais du point de vue du prolétariat, nous exigeons qu’ils soient concrets : vous dites que l’expression est libre en France ? Laissez-nous dire ce que nous pensons sur la Palestine ! Vous dites que la réunion et l’organisation sont libres en France ? Alors arrêtez de dissoudre des associations en masse ! Ce n’est qu’en s’unifiant avec les progressistes et démocrates que les révolutionnaires peuvent briser l’encerclement qui leur est imposé.

Mais cela ne veut pas dire que leur démocratie bourgeoise en putréfaction doit être sauvée par un sursaut « républicain » dans l’union des organisations politiques, syndicales, associatives qui s’opposent à la réactionnarisation. Au contraire, il faut propager le plus largement possible le mot d’ordre de la défense des droits du peuple, la concrétisation des droits démocratiques inscrits dans les textes. Et il faut expliquer sans relâche, prouver à chaque détour, que leur régime faussement démocratique est en réalité une dictature monopoliste dans laquelle les droits sont niés à chaque moment. Ainsi, la seule solution pour que les « conquis sociaux » et même les moindres principes démocratiques de base soient durables et appliqués à la lettre, c’est ce que nous enseignait le Parti Communiste du Pérou sur la question des droits : « Luttons pour un nouvel État, seule la révolution peut garantir librement et définitivement les droits du peuple, ces droits arrachés au prix du sang, que la bourgeoisie inscrit dans la Constitution, ou dans la Magna Carta comme elle l’appelle. Mais tant que ceux d’en haut continuent à régner, ces droits ne sont pas respectés et restent de simples mots écrits sur du papier, ils sont comme du papier brûlé, inutiles au peuple, bons seulement pour les exploiteurs. »

Il est donc clair que même en embauchant plus de policiers, même en multipliant les arrestations et procès, la révolte des masses en France ne pourra pas être contenue sur le long terme. Mais elle ne pourra pas triompher sans qu’avance le processus pour la reconstitution de l’organisation supérieure de la classe ; sans que la violence révolutionnaire spontanée, qui existe partout dans le pays, soit organisée et sans qu’un large mouvement uni ne défende réellement les droits du peuple, c’est-à-dire l’extension et la garantie des droits démocratiques que la bourgeoisie nie. Voilà la tâche la plus importante pour quiconque est révolutionnaire en France aujourd’hui. Ce programme, seule la révolution socialiste peut l’accomplir en développant le pouvoir pour la classe, la dictature du prolétariat, qui est la garantie du triomphe de la colline révolutionnaire et des droits du peuple jusqu’à la société libérée des classes, de l’État et de l’exploitation.

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