Cheveux en bataille, t-shirt rouge et poing levé, rien dans l’attitude de Georges Ibrahim Abdallah à son arrivée au Liban ne pourrait faire croire que ce combattant infatigable vient de passer plus de 40 ans derrière les barreaux de l’impérialisme français.
Avec la modestie que nous lui connaissons et l’enthousiasme du militant, il a prononcé un discours honorant la résistance palestinienne et appelant à la mobilisation des arabes de tous les pays contre le génocide à Gaza.
C’est une victoire, un triomphe, pas celui de la justice bourgeoise, mais bien de la mobilisation populaire qui a inversé le rapport de force et conduit, cette fois-ci, à sa libération. Il faut le rappeler, d’une affaire classée, qui n’intéressait qu’une poignée de militants au début du 21ème siècle, la mobilisation pour Georges Ibrahim Abdallah réinitiée par le Collectif pour sa libération puis menée d’une main de maître par la Campagne Unitaire, profitant de l’ampleur de la mobilisation nationale et internationale pour la Palestine depuis le 7 octobre 2023, s’est développée à travers des milliers d’actions anonymes, de rassemblements petits ou gros, de manifestations devant la prison de Lannemezan etc au cours de nombreuses et longues années. Elle a culminé avec les grandes manifestations nationales à Paris dans les 12 derniers mois, rassemblant plusieurs milliers de personnes et jusqu’à 15 000 le 14 juin.
Nous écrivions en janvier, avant tout ce dénouement :
« La victoire ou la victoire !
Voilà un slogan que notre camarade Georges Ibrahim Abdallah, enfermé 40 ans dans les geôles françaises, n’a pas découvert hier. Il l’a scandé derrière les barreaux, et il l’avait en tête bien avant son arrestation, lui qui a donné sa vie à l’émancipation humaine ce qui voulait dire chez lui : liberté pour le Liban et la Palestine, à bas l’impérialisme !Et désormais, c’est une réalité.
[…]
Voilà, prenez-en de la graine, ennemis et faux alliés du mouvement ouvrier : c’est ça le véritable rapport de forces ! Ce n’est pas juste de s’asseoir en assemblée générale, d’organiser une grève perlée ou une marche funèbre d’un point A à un point B d’une ville. C’est l’union et la mobilisation générale de sections larges et variées des masses vers un objectif précis ; avec des moyens toujours renouvelés, qui associent le long et ardu travail d’une Campagne Unitaire avec l’explosion et l’audace des actions de blocage, des manifestations combatives et des liaisons multiples qu’elles soient avec la Palestine, les syndicats ou les quartiers. Voilà ce qu’est un plan de bataille !
[…]
Nos victoires sont leurs défaites : pourquoi aurions-nous peur d’affirmer que nous luttons pour vaincre ? Nous avons l’optimisme chevillé au corps précisément car nous ne passons pas notre temps à scruter la réaction, nous célébrons les succès des masses, nos succès, des plus petits dans les quartiers où l’on installe le chauffage, aux plus historiques comme la mobilisation populaire pour Georges Abdallah.
Les défaitistes du mouvement ouvrier vont devoir s’habituer à ce qu’autour d’eux, dans toutes les réunions et actions, émergent la tête haute ceux qui n’ont pas peur de la victoire. Ceux pour qui la victoire n’est pas un mirage mais une nécessité, pour sortir de la misère, pour transformer le monde en faisant bien plus que libérer le plus vieux prisonnier politique d’Europe. Le vent qui souffle est celui des temps historiques : c’est l’offensive stratégique partout dans le monde et en France aussi, nous sentons souffler cette tempête. Accueillons-la : c’est celle des peuples opprimés du monde entier qui nous crient : la victoire ou la victoire ! »
Ces mots résonnent aujourd’hui dans la libération de notre camarade. Quelles leçons en tirons-nous ?
Sur la lutte anti-impérialiste
La libération de Georges Abdallah s’inscrit dans la lutte palestinienne et plus généralement dans la lutte anti-impérialiste à l’échelle européenne et mondiale.
C’est en ce sens que la mobilisation internationale a eu lieu dans des dizaines de pays du pourtour méditerranéen et au-delà. En 2018, lors de la manifestation de juin à Paris, un cortège rouge s’était élancé avec en son sein des militants d’Italie, d’Allemagne, de Norvège, d’Autriche ou encore d’Irlande. C’était à l’époque déjà une preuve fervente d’internationalisme prolétarien.
Les peuples du monde entier, qu’ils soient opprimés ou qu’ils soient directement au cœur des métropoles impérialistes, ont besoin de s’unir dans une nouvelle organisation internationale anti-impérialiste pour amplifier et orienter leur lutte, mener des campagnes conjointes et organiser la mobilisation dans tous les pays comme un fer de lance face à l’impérialisme et la réaction.
Le potentiel est énorme : depuis 2023, ce sont des dizaines de millions de masses arabes, des centaines de millions de masses du monde, qui se sont politisées et mobilisées en faveur de la lutte du peuple palestinien et contre les plans génocidaires des puissances impérialistes, US en tête, et de leur tête de pont au Moyen-Orient, Israël.
Et au-delà, c’est le seul moyen d’avoir un mouvement international qui permette de mener des campagnes autour, par exemple, de la lutte du peuple kurde, des luttes paysannes et anti-impérialistes en Amérique Latine, de la lutte des peuples d’Afrique contre l’enchaînement impérialiste et la balkanisation de leurs pays par des milices et groupes armés par telle ou telle puissance ou proxy pour le bénéfice des grands monopoles des puissances impérialistes.
La libération de Georges Ibrahim Abdallah montre un exemple simple, individuel, à petite échelle, des victoires immenses qui attendent un mouvement anti-impérialiste véritablement lié aux masses opprimées. Et la place des pays impérialistes, comme la France, et des forces anti-impérialistes en leur sein, n’est pas en retrait, mais bien essentielle pour frapper la bête là où elle se trouve, c’est-à-dire dans nos propres capitales, « nos » sièges sociaux, « nos » institutions. Voilà la première leçon.
Sur la lutte pour les prisonniers politiques révolutionnaires
Ensuite, ces années de mobilisation pour un prisonnier politique révolutionnaire en France ont enseigné beaucoup, dans la pratique comme dans l’orientation d’un mouvement pour les prisonniers. Alors que la répression s’intensifie sur quiconque s’organise et ose « l’ouvrir », comme nous l’avons analysé dans notre dernier numéro, alors que récemment un mouvement de prisonniers (et peu importe qu’ils soient lié au banditisme) attaquait les prisons et l’État directement pour les droits des prisonniers ; alors que les leaders du peuple Kanak ont été maintenu en détention pendant des mois sans raison ; il est clair qu’il n’y a pas que Georges Abdallah qui était un prisonnier politique dans les prisons françaises.
Chaque mouvement, comme les Gilets Jaunes ou les révoltes de juin 2023, a désormais son lot de condamnés, des milliers de personnes qui connaissent la prison pour des actes, en général d’agitation, et qui ne bénéficient d’aucun soutien de l’extérieur.
Il est clair que le besoin d’un Secours Rouge va progressivement se refaire sentir à mesure que le mouvement révolutionnaire et les mobilisations populaires vont connaître leur lot d’arrêtés et de prisonniers. C’est-à-dire une organisation qui s’occupe du lien entre l’intérieur et l’extérieur, qui aide ceux qui « rentrent », qui organise au sein des prisons et qui appuie la famille, les amis et les proches en général. C’est une composante historique du mouvement ouvrier international et français, née en tant que Secours Rouge en 1931 et devenue par la suite Secours Populaire, puis recréé en 1970 par des militants révolutionnaires, des anciens Francs-Tireurs et Partisans et des participants à la guerre d’Espagne.
Mais une telle organisation et un tel mouvement ne pourra pas mener à bien sa mission sans s’intégrer à un mouvement révolutionnaire d’ensemble, ce qui passe par la reconstitution du Parti Communiste de France, qui certainement saura générer une telle organisation lorsque la nécessité se présentera. Ainsi, aux activistes et militants qui ont œuvré des années durant pour la libération de Georges Abdallah, nous disons de ne pas s’arrêter là, il faut persister dans la campagne Alerta pour défendre la vie de Georges au Liban, et surtout il est temps de lever nous même le drapeau que Georges n’a jamais baissé, il n’est pas suffisant de se battre pour les prisonniers politiques révolutionnaires, il faut développer la voie vers la Révolution Socialiste en France en s’attelant aux tâches fondamentales qui nous font face. Voilà la deuxième leçon.
Sur les mobilisations populaires
Enfin, il n’est pas possible de finir sans parler des mobilisations populaires. Combien d’entre nous sont descendus dans les rues par centaines, milliers, millions pour telle ou telle revendication, telle cause, sans pouvoir crier victoire ? La brillante libération de Georges Abdallah a permis d’enfin réaliser (pour ceux qui doutaient) que la mobilisation peut mener à la victoire et n’est ni vaine, ni performative.
Il est évident que les masses populaires ne luttent pas pour perdre, ni pour le plaisir. Elles luttent pour leur existence, c’est-à-dire pour vaincre, et il est donc normal qu’une partie des masses, les moins mobilisées, aient pu se dire « à quoi bon manifester, coller des affiches, distribuer des tracts… ça ne changera rien. ». Mais aujourd’hui, la victoire de la mobilisation pour Georges Abdallah montre que le vent souffle dans l’autre sens, qu’il est temps d’à nouveau lutter pour la victoire, pour gagner, et pas seulement pour ne « pas perdre » nos acquis sociaux.
En plus de cela, la mobilisation populaire pour Georges Abdallah n’était pas spontanée, elle était organisée, le travail intensif et laborieux d’une diligente Campagne Unitaire, faite des milliers de réunions, d’initiatives qui fleurissaient dans des dizaines de villes de France et de pays. Quand nous célébrerons la libération de Georges avec la Campagne, nous ne devons pas oublier que nous célébrons aussi cela, la puissance redoutable qui réside dans l’organisation, qui est la seule arme du prolétariat selon le Grand Lénine. Nous marchons sur la voie de la Révolution Prolétarienne Mondiale qui nous promet de nouvelles victoires, bien plus grandes, et nous devons savoir garder la tête froide pour affronter toutes les difficultés que la bourgeoisie posera sur notre route vers l’émancipation. Voilà la troisième leçon.
Mais en cette journée si spéciale, où Georges Abdallah foule à nouveau la terre qui est la sienne, où il invite si courageusement les masses à la lutte, nous ne pouvons pas faire autrement que de participer à ce triomphe et déployer haut et fort notre optimisme révolutionnaire pour la suite des événements.