Interview de Yamin, militant réprimé pour son soutien à la Palestine

Nous publions une interview réalisée auprès de Yamin, militant à Lyon réprimé depuis plusieurs mois pour son soutien à la Palestine. Arrêté une première fois en décembre 2024, il a été de nouveau mis en garde à vue pendant 48 heures en juin dernier. Plusieurs rassemblements de soutien avaient eu lieu.

La Cause du Peuple — Bonjour Yamin. Tu as été récemment interpellé et déféré suite à une convocation pour « apologie du terrorisme » ?

Yamin — Oui, j’ai reçu une convocation de la police judiciaire et de la sous-section chargée des questions du terrorisme, plus précisément. Je n’ai pas été vraiment surpris par cette convocation car de nombreux militants et même des élus ou des syndicalistes reçoivent malheureusement ce type de convocation. Pour moi, cela n’était que l’une des nombreuses intimidations que subissent les militants qui affichent publiquement leur soutien au peuple palestinien et à sa résistance.

Par contre, ma surprise a été totale lorsqu’on m’a placé directement en garde à vue sans même m’interroger dans l’objectif d’une « comparution immédiate différée ». Habituellement, si l’objectif est de vous mettre en garde à vue, on vient vous chercher à la maison, on ne vous envoie pas une convocation 15 jours avant.

CDP — Tu sors d’une longue garde à vue, peux-tu nous dire comment cela s’est passé ?

Y — Oui, ma garde à vue a duré 48h avec cela, il faut rajouter 10 heures d’attente en cellule avant que je sois jugé en « comparution immédiate différée ».

Durant les 48 heures, j’ai été interrogé 3 fois et j’ai subi une perquisition à mon domicile. Ils ont saisi un vieux ordinateur que je n’utilisais plus et l’ordinateur portable de ma fille. Tout nous a été rendu. Dès qu’on m’a annoncé le motif de mon interpellation (apologie du terrorisme), j’ai annoncé que je me mettais en grève de la faim jusqu’à ma libération et que je ne répondrais à aucune question. J’ai déclaré que je réserve mes réponses à cette accusation infâme au tribunal lors de mon jugement, devant le juge.

Les questions ont porté sur ma vie privée, sur ma conception de l’islam, sur mon positionnement sur les différents courants de l’islam en France et dans le monde, sur mon positionnement sur les organisations palestiniennes qui prônent la résistance armée. Les questions semblaient très généralistes sans rien citer très concrètement des organisations dans lesquels je milite à Lyon, ni d’évènements auxquels j’ai participé. C’était un interrogatoire purement politique.

Puis les questions se sont concentrées sur 3 publications Facebook qu’ils m’attribuaient et datant de 2021 et 2022. Ces publications Facebook qu’ils m’ont montrées reportaient des opérations de la résistance armée en Palestine occupée. C’est la seule accusation qu’ils me portent officiellement. Ils ont fait des allusions sur un canal Telegram tout en restant flou et sans m’accuser de quoi que ce soit.

En fait, je suis accusé « d’apologie de terrorisme », j’ai subi une perquisition à mon domicile, j’ai passé deux nuits et 3 jours en cellule et je suis passé en comparution immédiate pour 3 publications Facebook qu’on m’a attribuées et qui ne faisait que reporter les opérations de la résistance armée palestinienne. Il se trouve que ces opérations ont été revendiquées par une organisation palestinienne armée qui a été décrétée « terroriste » par l’UE et la France. Le fait de l’avoir citée est considéré, d’après eux, comme de l’apologie.

CDP — De nombreuses personnes publient des textes et des vidéos sur les actions et les positions de la résistance armée palestinienne. Pourquoi as-tu été visé et pourquoi une accusation aussi lourde ?

Y — Je pense que la raison est double. Tout d’abord, suite au génocide à Gaza et à l’absence de dénonciations et de sanctions de notre pays contre l’Etat colonial israélien, un formidable mouvement de soutien populaire au peuple palestinien a émergé. Ce mouvement bien que pacifique et légaliste inquiète les autorités françaises et les relais pro-sionistes en France. Donc une répression et des intimidations policières et judiciaires sont exercées contre certains militants, certains intellectuels ou certaines personnalités. Je pense qu’on vise ces personnes non pas parce qu’elles sont importantes ou centrales dans les actions militantes, mais uniquement parce qu’elles représentent ou ont représenté quelque chose dans leurs réseaux militants ou intellectuels respectifs. L’objectif est de faire des exemples et que cela se sache afin d’intimider tous ceux qui ont été écœurés par ce qui se passe actuellement en Palestine occupée, et qui ont décidé de réagir. L’objectif est de briser cette lame de fond au sein de la population française qui a compris qu’en Palestine, il y a un colonisateur génocidaire et un peuple opprimé qui souffre et essaie de résister, certains les armes à la main. Et que cette résistance populaire palestinienne est légitime tant que l’entreprise coloniale perdure. C’est ce que dit naturellement notre conscience, notre esprit rationnel naturel et c’est ce que reconnait les instances internationales comme l’ONU : à toute colonisation, il y a une résistance qui est légitime et légale. Il n’est pas humainement juste, il n’est pas légalement légitime d’associer cette résistance à du terrorisme. Il peut y avoir des actes dits « terroristes » en Palestine occupée comme partout ailleurs dans le monde, mais cela ne doit pas servir de prétexte injuste d’accoler l’étiquette « terroriste » à la résistance palestinienne.

La seconde raison est la spécificité de la question palestinienne qui est une question transnationale, trans-ideologique et trans-organisation. Si, demain, il doit y avoir une convergence des luttes qui aura pour objectif de faire respecter une citoyenneté égalitaire en France et ailleurs, basé sur un contrat social auquel on pourra tous se reconnaitre au-delà de nos spécificités et de nos opinions, cela se fera autour de la question palestinienne qui est emblématique. 

En Palestine se joue l’avenir de la France. Si la France soutient un régime discriminatoire, raciste et d’apartheid à l’intérieur des territoires de 1948 en Palestine, si elle soutient une entreprise coloniale et génocidaire à Gaza et en Cisjordanie, si elle considère que le droit international et les décisions de la CPI s’applique sur certaines dictatures du Sud, mais pas sur les colons israéliens, si la France accepte tous cela c’est donc un message qu’elle envoie à la société civile française. Cela veut dire que l’Etat français se comportera avec ses minorités sur le territoire national comme Israël se comporte avec les palestiniens des territoires de 48, c’est-à-dire avec des politiques discriminatoires et racistes. Cela veut dire que la France se comportera avec les Pays du Sud global comme Israël se comporte à Gaza et en Cisjordanie, c’est-à-dire une politique internationale basée sur la spoliation, l’exploitation, la guerre impériale et le néo-colonialisme.

Quand nous défendons les droits légitimes du peuple palestinien, nous défendons aussi un projet de vie pour nos enfants, ici en France. Nous défendons des valeurs qui doivent être au-dessus de tous et que nous devons tous respectés, afin de pouvoir vivre ensemble tout en se confrontant dans nos différences mais dans un cadre pacifié et respecté par tous car considéré par tous comme juste.

Dans ma vie, l’essentiel de ma militance a été faite dans le cadre d’organisations musulmanes. Nous avions un double objectif : en interne, s’auto-organiser pour mettre en place les structures pour qu’on puisse exercer notre culte ; en externe, multiplier les contacts avec nos concitoyens et leurs organisations afin d’agir ensemble sur des valeurs partagées. Mon engagement pour la cause palestinienne est dans cette continuité. Et si la cause palestinienne est centrale pour moi, c’est parce qu’elle dit tout de nous : notre position sur l’égalité des êtres humains, sur le droit au Droit, sur la liberté, sur la résistance légitime, sur la trahison des Etats, sur l’impérialisme, sur le rôle des médias et des instances censées nous représenter mais qui ne représente que les intérêts de certains. Le positionnement de la France sur la question palestinienne indiquera le modèle de société qu’on nous prépare. Le positionnement de la France sur la question palestinienne devra être un positionnement qui reflète le positionnement de la population française et non celle d’une petite caste dirigeante aux intérêts sombres. Ce n’est pas par la répression des militants qui pointent le problème qu’on règlera le problème, cela se règlera sur la base des valeurs qui sont censées nous réunir. Si ceux qui nous représentent y croit encore…

CDP — En fait, ce qu’on te reproche c’est d’être un relais d’opinion ?

Y — Oui, comme pour beaucoup d’autres qui subissent des intimidations bien plus lourdes. Nous n’arrêterons jamais de soutenir les revendications légitimes du peuple palestinien et de sa résistance. C’est un combat existentiel pour les raisons que je viens d’expliciter. Donc, en tant qu’anti-impérialiste, anticolonialiste et antisioniste, nous poursuivrons ce combat politique, nous parlerons, nous dénoncerons, nous débattrons, nous manifesterons. Nous rendrons visible tout ce qu’ils veulent invisibiliser, nous essaierons d’éveiller les consciences de tous nos concitoyens, nous rencontrerons d’autres militants en France comme à l’étranger afin de discuter, de nous coordonner. Nous le ferons dans la transparence car notre combat est juste, légitime, légal. Et nous le ferons avec fierté et honneur, car nous serons peut-être ceux qui sauveront ce pays d’une catastrophe annoncée. Nous ne serons pas les enfants de Vichy, nous serons ceux du lyonnais Jean Moulin.

Et si certains nous associent au « terrorisme » comme Larbi ben Mehdi l’était naguère, alors tant pis pour ceux qui ne cesse d’être du mauvais côté de l’Histoire. Cela ne nous freinera pas et sereinement, nous continuerons de défendre des valeurs justes et les intérêts de ce pays malgré eux, malgré leurs injustices, malgré leur aveuglement.

CDP — Pourquoi cela cause autant de problèmes, le fait de parler ?

Y — Parce que notre militance est signe. Par notre présence, nous les faisons sortir de leur zone de confort. La première trahison est le silence et l’indifférence. Et nous, nous ne sommes qu’un rappel aux consciences. Nous sommes le réveil qui sonne le matin et qui les sort de leur sommeil et de leur insouciance. Nous sommes ceux qui lancent l’alerte. Fondamentalement c’est la cause profonde. Il y en a d’autres, mais c’est la principale.

CDP — On te reproche selon le terme employé de faire de l’apologie du terrorisme. Comment réagis-tu à cette accusation ?

Y — Le juge a décidé que je ne serai pas jugé dans le cadre du droit commun mais dans le cadre d’un tribunal spécifique dédié à la liberté de la presse. Cela déjà démontre déjà un problème : est-ce que parler d’une organisation qui a été déclarée « terroriste » est de l’apologie du terrorisme. Ou est la limite entre apologie et liberté d’informer ?

Puis se pose la question du terme « terrorisme » qui n’est pas un terme juridiquement identifiable. Quels sont les critères pour déclarer une organisation « terroriste » ? Sont-ce des critères juridiquement et factuellement identifiables ou sont-ce des critères politiques ? Comment peut-on crédibiliser un structure politique (UE, Etat) qui n’est pas neutre et qui défend des intérêts évidents qui déclare que telle organisation est « terroriste » ou pas. Lorsqu’un Etat le décrète, l’instance judiciaire doit le faire appliquer, et nous, en tant que citoyen, nous y sommes soumis de fait. Sur cela, il n’y a pas de débat. Mais le débat sur le fond doit se faire.

Il y a des organisations « terroristes » car leurs méthodes d’action sont totalement illégitimes selon le droit international mais aussi selon des principes simplement humains. Le GIA en Algérie durant les années noires qui tuaient des villageois, Daesh, Al-Nosra et bien d’autres qui ont des actions qui virent au nihilisme, tuant et ciblant des innocents sont des organisations terroristes. Il n’y a pas débat. Leurs méthodes d’actions sont terroristes et ils s’en revendiquent. La question de qui est, véritablement, à la tête de ces organisations et du rôle trouble de certains Etats sont d’autres questions qu’on devrait se poser et qui sont trop peu débattus. 

CDP — On peut donc aussi parler d’Etat terroriste ou d’Etat complice de ces terroristes ? (à Paris Berlin new York ou Tel Aviv)

Y — Oui, évidemment. La question du terrorisme n’est pas le seul fait des individus, c’est d’abord une question d’Etats, à double titre. Tout d’abord, des Etats qui forment, arment et financent des groupuscules terroristes pour les infiltrer et garder un contrôle ou alors pour les utiliser comme proxy. Les Puissances impérialistes occidentales ont toujours compris l’intérêt d’avoir « une entrée dans ces groupes » très facilement infiltrables. Historiquement, les britanniques d’abord, puis les américains et les israéliens et ensuite les français sont connus pour cela. Tous ces pays avait un pied dans les camps d’entrainement financés par la CIA, à la frontière turco-syrienne, c’est de là-bas que s’organisait l’opposition syrienne armée. Certains de ces groupes sont à l’origine des attentats en France. 

Et c’est le chef d’un de ces groupes terroristes qui est devenu récemment président de la Syrie. Ce « terroriste-président » responsable d’une partie des atrocités commises en Syrie a été reçu officiellement par Macron à l’Elysée. Il y a quelques semaines, les Américains le faisaient encore figurer dans leur liste officielle de « personnalités terroristes ». Cela n’a pas empêché Trump de le recevoir. Et, après s’être assuré que les principaux marchés pour reconstruire la Syrie soient attribués à des entreprises américaines et que la Syrie se soumettra aux injonctions israéliennes, cette personne n’était plus un terroriste et toutes les sanctions contre la Syrie ont été levées. 

Toutes les familles des victimes, notamment syriennes, exécutées sous ses ordres ou même sous ses propres mains sont oubliées. On ne leur fera jamais justice car le « président-terroriste » s’est attribué le sésame d’immunité : il a promis une normalisation avec Israël et il a donné carte blanche au FMI pour qu’il dépèce ce qui reste de viable en Syrie.

L’expérience syrienne démontre que cette question du terrorisme est une véritable farce. On l’utilise pour atteindre des objectifs d’Etats et faire taire les oppositions légitimes. J’ai bien peur que la France suive cet exemple et utilise cette question « d’apologie au terrorisme » pour nous faire taire et nous délégitimer.

Mais au-delà de la manipulation de groupscules armés, un Etat en lui-même peut être un Etat-terroriste quand il utilise le meurtre et l’assassinat extra-judiciaire comme méthode d’action et quand il ne respecte aucune loi internationale. L’exemple le plus flagrant est Israël. C’est même devenu une caricature de l’Etat-Terroriste avec le génocide en cours. Mais on pardonne tout à Israël même le génocide qui a lieu sous nos yeux. Et ceux qui combattent cet Etat terroriste sont accusés de terrorisme. Et ceux qui dénoncent cet Etat-voyou sont accusés « d’apologie de terrorisme ». On marche sur la tête.

CDP — Peut-on y associer aussi certains Etats arabes à cette question d’Etat terroriste ?

Y — Oui, évidemment. La plupart des Etats arabes ont infiltré ou même contrôle des groupes armés dits « terroristes ». Mais ils le font en partie en collaboration avec des officines israéliennes et occidentales. 

Et un Etat qui dépèce un opposant journaliste dans son ambassade n’est-il pas terroriste ? Un Etat qui torture et place en détention des dizaines de milliers d’opposants, et qui participe au blocus abjecte de Gaza avec 2 millions de personnes qui meurent de faim n’est-il pas terroriste ? L’Arabie Saoudite et l’Egypte sont des Etats terroristes mais ils sont aussi les meilleurs amis de l’Occident donc on ne parle pas d’eux mais on parle de ceux qui auraient fait 3 publications sur Facebook sur la résistance palestinienne, il y a 3 ans. En fait, ce qui m’arrive n’est que diversion pour ne pas se lever contre les énormités que nous vivons au quotidien.

CDP — Quelles sont les perspectives face à la répression ? 

Y — La répression ne doit pas nous impressionner outre mesure. Tout d’abord parce que la France n’est pas Israël ni l’Egypte ni l’Arabie saoudite. Nous avons un Etat de droit même s’il y a des abus évident. Face à la répression, il faut répondre par le droit et se défendre. Pour cela, il est impératif de s’organiser collectivement pour réunir les cœurs et les intelligences afin d’être efficient et pertinent.

Ensuite, il faut garder en tête notre objectif et ne pas se laisser distraire par ces intimidations, il faut multiplier les débats et les actions pour rendre visible ce qu’on tente de cacher. Il faut continuer nos petites actions qui semblent insignifiantes au regard du calvaire et des horreurs que vivent les palestiniens. Mais c’est la multiplication des toutes ces initiatives dans les banlieues et les petites villes de France, dans nos lieux de travail et dans la rue qui éveillera les consciences pour qu’on puisse rappeler à l’ordre nos Etats qui trahissent les valeurs qui nous définissent. 

Il y a un mouvement de solidarité anti-impérialiste qui traverse tous les pays du monde. Ce mouvement est impressionnant, il est incontrôlable car il vient vraiment de notre humanité en éveil. Moi-même je suis impressionné de ce dynamisme, je comprends donc que ceux qui pensent avoir un contrôle sur nous puisse s’affoler. En fait, ils ne contrôlent rien, ils s’en rendent compte et ils paniquent. 

CDP — Que retiens-tu de cette « expérience » ?

Y — En cellule, je me suis retrouvé avec moi-même et c’est ma foi qui m’a permis de rester déterminé. Serein et déterminé. J’ai vécu la solidarité active des autres militants et de mes proches comme une révélation. J’ai compris que c’est par une résistance collective qu’on crée des liens forts, au-delà de toutes nos appartenances. J’ai aussi compris que lorsqu’on sort de l’apitoiement sur soi, lorsqu’on ne se considère pas comme une victime mais comme une résistance en mouvement aucune prison ne peut vous enfermer, aucune garde à vue ne peut vous retirer votre liberté. Donc gardons cet esprit de résistance et refusons la peur qu’ils désirent inscrire dans nos cœurs.

Par la peur, ils contrôlent nos cœurs. Par la résistance, nous libérons nos esprits.

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