Image : Soviet de la Courtine, en Creuse, où 16 500 soldats russes se sont mutinés contre la guerre et pour la révolution entre juin et septembre 1917
Il y a 103 ans, la 11 Novembre a signalé la fin de la Première Guerre Mondiale. C’était de loin la guerre la plus meurtrière que le monde avait connu jusque là. 20% de la population française masculine en âge de combattre a péri dans des bombardements d’artillerie ou sous le feu des mitrailleuses. C’était “des ouragans d’acier” selon l’écrivain Ernst Jünger. Le gaz toxique était commun sur le champ de bataille, où les soldats vivaient dans les tranchées bien plus comme des rats que des hommes.
Pourquoi une telle boucherie a eu lieu? Citons l’historien Britannique Éric Hobsbawm:
« La raison en est que cette guerre, contrairement aux guerres précédentes, qui étaient typiquement menées pour des objectifs limités et spécifiables, était menée à des fins illimitées. À l’ère de l’Empire, la politique et l’économie avaient fusionné. La rivalité politique internationale était modelée sur la croissance et la concurrence économiques, mais le trait caractéristique de celle-ci était précisément qu’elle n’avait pas de limite. Les « frontières naturelles » de la Standard Oil, de la Deutsche Bank ou de la De Beers Diamond Corporation étaient au bout de l’univers, ou plutôt à la limite de leur capacité d’expansion.” (Hobsbawm, 1987, p.318)
« Plus concrètement, pour les deux principaux concurrents, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, le ciel devait être la limite, car l’Allemagne voulait une position politique et maritime mondiale comme celle qu’occupait la Grande-Bretagne et qui donc automatiquement aurait relégué une Grande-Bretagne déjà en déclin à un statut inférieur. C’était l’un ou l’autre. Pour la France, à l’époque comme plus tard, les enjeux sont moins globaux mais tout aussi urgents : compenser son infériorité croissante, apparemment inévitable, démographique et économique face à l’Allemagne. » (Hobsbawm 1994, p 29. Traduction de l’auteur.)
Effectivement, pendant le XIX siècle, les grands puissances capitalistes avaient divisé le monde entre elles, et l’impératif était de trouver des investissements profitables, et donc d’agrandir leur sphères d’influence. A l’époque de l’impérialisme cela ne laisse qu’une option : la redivision du monde par la force des armes selon Lénine. Il est crucial de reconnaître que cette guerre (et la Deuxième Guerre Mondiale qu’elle a présagé) était le produit du système impérialiste, et que tant que ce système existe son penchant sera la guerre totale.
Le monde d’aujourd’hui n’est pas fondamentalement différent de celui de 1913- la compétition économico-militaire s’intensifie, les vielles alliances sont tendues par la divergence des intérêts économiques qui les guidaient avant. Par exemple, l’Ukraine tente désespérément de rentrer dans l’OTAN, un acte qui provoquerait certainement une réponse militaire Russe (au delà de la guerre de proxy qui fait rage dans l’est du pays). Des troupes s’amassent des deux côtés de la frontière. Dans l’est, la Chine, encerclée par les Etats-Unis, ses alliés et marionettes (le Japon et la République de la Corée), se mène une guerre hybride pour Taiwan. Mais tout n’est pas serein parmi les impérialistes occidentaux. Des tensions économiques mises à jour par la politique étrangère Trumpienne se montrent dans l’alliance atlantique, et dans l’Union européenne nous constatons une rivalité franco-allemande de plus en plus importante. La mèche brûle, il reste plus qu’à attendre.
Les masses de prolétaires et de paysans que les impérialistes ont envoyé à la mort il y a plus de 100 ans sont toujours là, et toujours prêtes à se révolter contre ces ordres infâmes. Le 11 novembre, la bourgeoisie française fête sa “victoire” dans la boucherie. Macron a préparé une cérémonie en grande pompe, et il glorifiera les officiers, les généraux, les soldats disciplinés qui se sont bien alignés face aux tirs d’obus. Mais il ne faut pas oublier les mutineries de 1917 dans l’armée française, où des milliers de soldats ont crié « A bas la guerre ! » au péril de leur vie. Être contre la guerre aujourd’hui, c’est être contre la guerre impérialiste, contre l’impérialisme en général. C’est ce que nous rappellent les paroles prophétiques de la Chanson de Craonne, rédigée en 1918 et censurée par la République française :
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendrons
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce sera votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez la guerre
Payez-la de votre peau !