Condamnation de Derek Chauvin : l’illusion de la justice

Ce mardi 20 avril, Derek Chauvin, le policier qui a tué George Floyd, a été reconnu coupable de meurtre au deuxième et au troisième degré et immédiatement conduit en prison. Sa peine sera fixée d’ici quelques semaines, et elle pourrait aller jusqu’à 40 ans de prison. Si cette décision est historique, tant l’affaire est emblématique, il s’agit néanmoins d’une illusion de justice.

Bien-sûr, on aurait tort de ne pas se réjouir de la condamnation de Derek Chauvin. En effet, sa condamnation est avant tout une immense victoire politique pour toutes celles et ceux qui, depuis bientôt un an, se sont mobilisés pour demander « Justice pour George Floyd ! ». Il faut dire que, en mai et juin 2020, c’est une véritable insurrection qui touché l’ensemble des États-Unis, avec des émeutes pas vues depuis plusieurs décennies et des manifestations rassemblant plusieurs millions de personnes. C’est évidemment cette pression populaire qui avait, à l’époque, poussé les autorités à poursuivre Derek Chauvin pour homicide volontaire (meurtre au deuxième degré) et non homicide involontaire (meurtre au troisième degré) comme cela avait été le cas au départ. C’est aussi aujourd’hui cette immense pression populaire qui a poussé la justice bourgeoise états-unienne à reconnaître Derek Chauvin coupable. En effet, il est absolument évident que la bourgeoisie états-unienne craignait une chose plus que tout : qu’un éventuel acquittement de Derek Chauvin déclenche une nouvelle vague de révolte partout dans le pays.

Malgré tout cela, malgré le fait que cette condamnation soit une victoire politique pour les masses populaires états-uniennes en lutte, cela reste malgré tout l’illusion de la justice. En effet, que penser d’un système judiciaire qui laisse en liberté des dizaines de flics ayant commis des faits similaires ? Les meurtriers d’Eric Garner et Michael Brown n’ont jamais mis un pied en prison, et il ne s’agit là que des affaires les plus emblématiques. Finalement, Derek Chauvin est une exception, car la vidéo du meurtre de George Floyd était trop choquante, car les preuves étaient trop accablantes, car les autorités étaient effrayées à l’idée qu’un acquittement ne déclenche des révoltes. Pour toutes ces raisons, les autorités états-uniennes ont préféré abandonner un de leurs chiens les plus fidèles. Cela montre que même un policier accomplissant fidèlement sa tâche – celle de protéger les intérêts des exploiteurs, de réprimer les mouvements sociaux, d’humilier, d’écraser toutes celles et ceux qui subissent la violence du capitalisme – sera lâché par ses supérieurs si il devient un allié trop encombrant. C’est bien de cela dont il s’agit pour Derek Chauvin : il était devenu un allié encombrant. Ainsi, si il avait été mis en cause vingt fois avant le meurtre de George Floyd pour d’autres affaires, ce qui a tant dérangé les autorités, c’est la médiatisation de l’affaire Floyd.

Que penser, aussi, d’un système judiciaire qui traite les militants révolutionnaires de la même manière qu’un criminel comme Derek Chauvin ? Si Derek Chauvin fait partie du très faible pourcentage de flics condamnés pour meurtre, les révolutionnaires états-uniens, quant à eux, ont été très nombreux à passer des années derrière les barreaux. Ce fut le cas de plusieurs militants du Black Panther Party, qui luttaient notamment contre la ségrégation raciale. Ce fut le cas, aussi, plus récemment, des 14 000 personnes arrêtées pour leur participation aux révoltes ayant suivi le meurtre de George Floyd.

Que penser, enfin, d’un système judiciaire qui jette chaque année des milliers de noirs et de latinos derrière les barreaux pour des délits mineurs, parfois sans preuves, sans même de procès ? Alors que 43 millions de personnes, majoritairement des noirs et des latinos, vivent aux États-Unis sous le seuil de pauvreté, la petite délinquance est bien souvent une conséquence de la misère, un moyen de survivre tant bien que mal dans un pays où quelques milliardaires s’en mettent plein les poches pendant que des millions de personnes peinent à boucler les fins de mois. Harcelés par la police et discriminés au quotidien, les noirs et les latinos subissent cette situation avec une violence toute particulière. Alors, aux États-Unis, le système carcéral est un immense business : plus de deux millions de personnes sont derrière les barreaux, dont de nombreuses dans des prisons privées dont les propriétaires gagnent énormément d’argent. Parmi ces deux millions de détenus, beaucoup ont un emploi en prison, et touchent un salaire de misère, ce qui permet à des grandes entreprises de gagner des millions de dollars sur le dos des détenus. Alors, où est la justice là dedans ? Peut-on considérer une seule seconde que le système judiciaire états-unien est juste quand il envoie derrière les barreaux des gens qui n’ont rien à faire en prison ? Peut-on considérer que le système judiciaire états-unien est juste lorsqu’il sert, en fin de compte, à gérer par la répression les conséquences de la pauvreté, causée par l’infâme modèle économique de la première puissance impérialiste mondiale ?

Alors, dans le fonds, la condamnation de Derek Chavin ne change rien : les meurtres commis par des policiers se poursuivent, comme à Minneapolis il y a quelques jours où un jeune homme noir a été tué, déclenchant de nouvelles révoltes, comme à Chicago fin mars où un adolescent de 13 ans a été abattu par un policier, ou comme à Columbus, dans l’Ohio, où le jour de l’annonce de la condamnation de Derek Chauvin, une adolescente de 16 ans a été, elle aussi, abattue par un policier.

En réalité, la justice, ce n’est pas la condamnation d’un policier dans une affaire emblématique. La justice, c’est un changement profond de système, l’abolition totale et définitive du système infâme qui fait que, chaque année, des dizaines de personnes sont tuées par des policiers. Ainsi, dans le système actuel, il ne peut pas y avoir de vraie justice, mais tout au plus des petites victoires, emblématiques, certes, mais insuffisantes.

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