Le mardi 19 janvier puis, dans le sillage de la grève de l’éducation le mardi 26 janvier, ont eu lieu, partout en France, des grèves des vies scolaires (les services de surveillance et conseils éducatifs des collèges et lycées, qui font le lien avec les parents, suivent les enfants etc). Ce n’est pas la première fois que des membres de ces services participent à des grèves : lors de la mobilisation contre la réforme des retraites fin 2019, des surveillants, des CPE etc avaient déjà participé dans certains établissements.
Ce mouvement avait emporté les vies scolaires « en plus » des profs, traditionnels meneurs dans les établissements scolaires. Cependant, ce qui est inédit cette fois-ci, c’est que ce sont directement les vies scolaires et avant tout les surveillants qui ont lancé cet appel à la grève. Une grève non pas d’un jour, sans lendemain, mais une poursuite des actions commencées le 1er décembre 2020 partout dans le pays avec pour perspective de la reconduire pour tous les groupes locaux qui le souhaiteraient.
Faisons un point sur les raisons qui conduisent surveillants, les pions de collège ou de lycée (ou AED, assistants d’éducation, le terme officiel) à mener cette lutte. Qu’est-ce que cela veut dire d’être surveillant en France en 2020 ? Dans la vision populaire, les surveillants sont soit des étudiants, fraîchement bacheliers, qui cherchent à arrondir les fins de mois, ou bien des personnes d’âge moyen, dont c’est le métier. La seconde version est révolue depuis bien longtemps : cela fait plus de 15 ans que l’Etat a réformé le statut : fini les surveillants fonctionnaires ! La création du statut d’AED a signifié un changement total de ce travail : les surveillants sont devenus agents contractuels, renouvelés tous les 12 mois et seulement pour 5 fois maximum. Cela veut dire qu’on ne peut pas exercer ce travail plus de 6 ans et qu’il est impossible de se projeter à plus long terme qu’une année scolaire. Une situation assez ressemblante existe pour les AESH, les Accompagnants des élèves en situation de handicap.
Qu’en est-il du cliché du job étudiant ? Bien sûr, la proportion d’étudiants chez les surveillants est élevée, mais elle n’est finalement que de 20 à 25% selon les statistiques officielles du Ministère de l’Education nationale. On est bien loin de la majorité ! L’âge moyen des AED, de 30 à 35 ans, nous le confirme. Gréviste ce mardi, un surveillant à Paris nous confie : « Dans mon collège, il n’y a que 3 étudiantes et nous sommes plus d’une douzaine. La majorité des collègues sont en réorientation, en attente d’un projet pro, ou là par hasard parce qu’ils ne trouvaient rien dans leur domaine. Pour la majorité d’entre nous, si l’on perd ce taf, on perd notre appartement, notre vie. » Comment sont traités les surveillants ? Le salaire est misérable (le SMIC pour 40h/semaine, les horaires de travail étant annualisés avec les vacances scolaires) et les conditions de travail sont souvent inacceptables. Sous pression directe de la direction des établissements scolaires qui les recrute et les manage, les AED cumulent les fonctions : surveillants, responsables psy, secrétaires, conseillers d’éducation, interprètes, infirmiers, ouvriers polyvalents, profs, agents d’entretien… Un terme qui revient souvent chez les surveillants, c’est le sentiment d’être un couteau suisse, disponible pour tous les petits problèmes de l’établissement dès que la direction claque des doigts.
Bien qu’ils ne produisent aucune marchandise et qu’ils n’ont aucun objectif de rentabilité déclaré, les AED sont encadrés par les CPE et bien souvent directement par la direction. Leur statut permet de s’en débarasser facilement. Les grévistes du mouvement actuel ont déjà fait remonter avoir reçu des menaces de non-renouvellement pour l’année prochaine. Un surveillant interrogé nous apprend : « Comme tous les collègues sont en grève, personne ne s’attend à être renouvelé. La direction nous a fait savoir qu’il fallait qu’on soit conscient que l’on n’était que de passage ici. » Que veulent les surveillants en grève ? Loin des clichés, cette grève a un réel caractère de classe : on y revendique de faire son travail correctement, dans des conditions appropriées. Un « métier perenne », écrit le collectif Vie Scolaire en Colère. Cela veut dire un salaire décent, des horaires et des primes normales, alignées sur le reste des personnels. Tout cela pour une mission essentielle dans toute société : assister à l’éducation de nos enfants.
L’Etat français va dans le sens inverse : en précarisant le statut d’AED, il souhaite en faire un emploi de passage, bradant la qualité de l’éducation au profit de petites économies. Il est clair que dans notre pays, plus un rond n’ira à l’éducation. Mais l’Etat se met le doigt dans l’oeil en pensant pouvoir effectuer cette transformation sans résistance. La grève actuelle le prouve : rabaissés, méprisés, des jeunes prolétaires et déclassés se retrouvent surveillants pour payer leurs factures et ils ne se laissent pas faire. La crise du COVID et les mesures prises après l’assassinat de Samuel Paty se sont ajoutées à cette situation générale et rendent le quotidien de moins en moins supportable. Plutôt que de pouvoir effectuer leurs missions, les AED sont transformés en police des masques et du gel hydroalcoolique. Le Ministère de l’Education Nationale, qui appelle depuis plusieurs mois à un renforcement du protocole sanitaire, ne peut ignorer qu’en réalité rien ne change depuis la rentrée de Septembre, les moyens étant limités et les mesurettes du gouvernement n’ayant des effets qu’à la marge.
A Lyon, Quimper, Cherbourg, Paris, Toulouse, dans tous les coins de l’Hexagone, c’est une colère légitime qui a retenti à nouveau le 19 janvier, après une première répétition l’an dernier. C’est l’expression d’un nouveau type de mobilisation dans l’éducation, venant directement des personnels du bas de l’échelle. Il n’est pas étonnant que les AESH aient souvent suivi et accompagnés les AED dans ce mouvement. Les agents de terrain, comme les personnels d’entretien, de cantine… vivent également le mépris et les conditions de travail difficiles, bien que leur statut soit différent. Au fond, ce sont toutes ces professions qui sont essentielles : sans elles, pas d’école pour nos enfants. Il n’y aura pas de salut avec ce gouvernement et cet Etat. Nos futurs gouvernants grands bourgeois, quelle que soit leur couleur politique, continueront la politique de leurs prédécesseurs. C’est ce qu’a prouvé le quinquennat Hollande et c’est ce que prouve aujourd’hui Macron. Plus que jamais, le vernis universel et éducatif de l’école est écaillé : c’est désormais sa dimension unificatrice de la nation et la transmission des « valeurs de la République » qui apparaît au grand jour. Cet aspect n’avait pas disparu, il était maquillé sous des couches de propagande. La révolte des AED nous montre clairement ce qu’il en est réellement.