On croise souvent dans les rues des personnes chargées de convaincre les gens de faire un don mensuel pour telle ou telle ONG. J’ai travaillé en tant que recrutrice de donateurs, et voici mon témoignage.
Pour aborder tout de suite un sujet important, les recruteurs ne sont pas des bénévoles de l’organisation pour laquelle ils travaillent, qui verraient la recherche de donateurs comme une partie de leur militantisme. Les ONG contactent des entreprises spécialisées dans ce domaine, qui sont chargées de lever des fonds, et les rapports entre les recruteurs de donateurs et l’entreprise qui les emploie sont donc des relations classiques entre patrons et salariés. D’ailleurs, tous les responsables de l’entreprise où je travaillais avaient une carrière faite d’allers-retours entre les ONG et les entreprises de service aux ONG, ce qui pose un certain nombre de questions sur le carriérisme des cadres de ces associations.
Si l’entreprise qui m’employait fonctionnait comme n’importe quelle boîte, ce n’était pas assumé, et les employés devaient être passionnés par leur travail. Évidemment, tous les travailleurs doivent faire semblant d’être intéressés par leur entreprise, mais on était incités à suivre l’association qu’on promouvait sur tous les réseaux et à préparer régulièrement des exposés sur les actions de cette ONG.
Évidemment, on n’était pas embauchés pour notre passion : on avait l’objectif de trouver un donateur toutes les deux heures de travail. Si l’objectif était atteint, on recevait une assez belle prime (ce poste avait beaucoup d’inconvénients, mais il payait plutôt bien pour un poste sans qualifications). Sinon, nos chefs d’équipe pouvaient nous faire travailler moins d’heures la semaine suivante (on avait nos plannings le samedi pour la semaine d’après, ce qui rendait toute prévision à long terme impossible), ou nous faire faire ce qu’ils appelaient du « bénévolat », et que n’importe qui d’autre appellerait des heures sup’ gratuites.
Comme on était censés être « ensemble pour une cause juste », les responsables, ainsi que ma cheffe d’équipe, entretenaient volontairement avec moi et mes collègues une relation « amicale », ce qui leur permettait, quand nos objectifs n’étaient pas atteints, de nous faire culpabiliser si on refusait leur « bénévolat », en plus des moyens de pression habituels de n’importe quel manager sur des employés en CDD.
La seule consolation que nos chef-fes nous donnaient, celle d’être là pour aider les gens, était très abstraite, vu qu’un certains nombre de donateurs étaient des prolétaires en mauvaise situation financière, et que même si on ne voyait pas vraiment à quoi la douzaine d’euros mensuels pourrait servir à une ONG présente dans le monde entier, on voyait très bien à qui on l’enlevait, et à quoi elle pourrait lui servir.
J’ai fini par démissionner au bout de quelques jours, et ma cheffe d’équipe a quand même passé une demi-heure à utiliser toutes les techniques rhétoriques qu’on était censés faire aux passants (flatterie, culpabilisation, retournement d’arguments…) pour me convaincre de rester, sans succès.
Malgré la bonne image que peuvent se donner les ONG, elles aussi exploitent des travailleurs, elles aussi sont des agents du capitalisme, chargées de lutter contre ses pires excès sans s’attaquer à ses causes, et de convaincre les masses de faire de même.
Pour lutter pour les causes qu’elles prétendent défendre, vive la révolution, vive le socialisme !